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Elena Bonner-Discorso al Forum della Libertà 25/05/2009
JPost, May 19,2009

24 mai, 2009, ELENA BONNER, THE JERUSALEM POST

Extraits de son discours au Forum de la Liberté à Oslo ; le 19 mai.

http://www.jpost.com/servlet/Satellite?cid=1242212450779&pagename=JPArticle/ShowFull


 

Le Président du Forum, Thor Halvorssen, qui m’a invitée à cette conférence, m’a demandé de parler de ma vie, des souffrances que j’ai endurées et de la manière dont je les ai surmontées. Mais aujourd’hui tout cela me semble vraiment inutile.
Je dirai seulement quelques mots sur ma vie.
A l’âge de 14 ans, je suis restée sans mes parents. Mon père a été exécuté, ma mère a passé 18 ans en prison et en exil. Ma grand-mère nous a élevés moi et mon jeune frère. Le poète Vladimir Kornilov qui a eu le même destin, a écrit : « Dans ces années-là il semblait que nous n’avions pas de mères. Nous avions des grands-mères ». Il y avait des centaines de milliers de ces enfants. Ilya Ehrenburg nous a nommés «  les étranges orphelins de 1937 ».
Puis est arrivée la guerre. Ma génération a été coupée presque aux racines par la guerre, mais j'ai eu de la chance, j’en suis revenue. Je suis revenue dans une maison vide. Ma grand-mère était morte de famine dans le siège de Leningrad. Puis est venue l'époque d'un appartement commun, l’époque des études de médecine pendant six années de privations, l’époque de l'amour, de mes deux enfants et de la pauvreté d'un médecin soviétique. Mais je n'étais pas la seule, tout le monde vivait ainsi. Puis vint ma période de dissidence suivie par l'exil. Mais Andreï (Sakharov) et moi étions ensemble et c'était un vrai bonheur !
Aujourd'hui si je fais un bilan de ma vie (à l'âge de 86 ans j'essaie de faire cela chaque jour où je suis encore vivante) je peux le faire avec trois mots. Ma vie a été typique, tragique et belle. Que ceux qui veulent des détails lisent mes deux livres « Seule Ensemble » et « Mères et Filles ». Ils ont été traduits dans de nombreuses langues. Lisez les mémoires de Sakharov, c'est vraiment dommage que ses journaux n'aient pas été traduits ; ils ont été publiés en Russie en 2006. Apparemment les pays occidentaux ne sont désormais plus intéressés par Sakharov.
L'Ouest n'est pas très intéressé par la Russie non plus, un pays qui n'a plus de vraies élections, plus de tribunaux indépendants ou de presse libre. La Russie est un pays où journalistes, activistes des droits de l'homme et immigrés sont régulièrement tués,  presque quotidiennement. Une  corruption extrême fleurit comme cela n'avait jamais existé avant en Russie ou ailleurs, d'une manière et d'une ampleur inégalées. Mais de quoi discutent principalement les médias occidentaux ? Du gaz et du pétrole dont la Russie est très riche. L'énergie est son seul atout et la Russie l'utilise comme un instrument de pression et de chantage. Et il y a aussi un autre sujet qui ne disparaît jamais des journaux : qui gouverne la Russie ? Vladimir Poutine ou Dimitri Medvedev ? Mais quelle importance cela a-t-il, puisque la Russie a complètement perdu la dynamique pour un développement démocratique que nous pensions avoir perçue au début des années 90. La Russie va rester ce qu'elle est maintenant pendant des décennies, à moins qu'il n'y ait un bouleversement violent.

Dans les années qui suivirent la chute du mur de Berlin, il s'est produit dans le monde des changements incroyables dans une période exceptionnellement courte. Mais est-ce que le monde est devenu meilleur ou plus prospère pour les 6 milliards 800 millions d'individus qui vivent sur notre petite planète ?
Personne ne peut répondre à cette question clairement malgré toutes les réalisations de la science et de la technologie et ce processus que nous avons l'habitude d'appeler « progrès ». Il me semble que le monde est devenu plus inquiétant, plus imprévisible et plus fragile. Cette inquiétude, cette instabilité et cette fragilité sont ressenties dans une certaine mesure par tous les pays et tous les individus. Et la vie civique et politique devient de plus en plus virtuelle, comme une image sur un écran d'ordinateur.
Même comme cela, la vision de la vie transmise par la télévision, les journaux ou la radio reste la même, avec son lot de conférences, de sommets, de forums et de concours allant du concours de beauté au concours du plus gros mangeur de sandwiches. Ils disent que les gens se rassemblent mais en réalité ils deviennent des étrangers les uns pour les autres.
Et ce n'est pas parce qu'une crise économique a soudainement éclaté ou parce que la grippe aviaire se développe. Cela a commencé le 11 septembre 2001. D'abord la colère et l'horreur provoquées par les terroristes qui ont détruit les tours jumelles du World Trade Center et par leurs complices à Londres, Madrid et d'autres villes et par les Shahids qui commettent des attentats-suicides en se faisant exploser dans des espaces publics comme des discothèques ou des salles de mariage et dont les familles recevaient de Saddam Hussein 25 000 $ chacune.
Plus tard, (Georges W.) Bush a été blâmé pour tout, et aussi comme toujours, les Juifs, c'est-à-dire Israël. Un exemple en a été la première Conférence de Durban et le développement de l'antisémitisme en Europe, comme l'a relevé dans un discours il y a quelques années [même] Romano Prodi. Puis est arrivé Durban II, avec Ahmadinejad comme principal orateur qui a proposé d'annihiler Israël. 

Donc c'est à propos d'Israël et des Juifs que je vais parler. Et pas seulement parce que je suis juive, mais par-dessus tout parce que le conflit du Moyen-Orient depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale a été une plate-forme pour des jeux politiques et des paris de la part des grandes puissances, des pays arabes et de certains politiciens, s'efforçant par le prétendu « processus de paix » de se mettre en valeur et de gagner peut-être un prix Nobel de la paix. Autrefois le prix Nobel de la Paix était la plus haute récompense morale de notre civilisation. Mais après décembre 1994, lorsque Yasser Arafat est devenu l’un des trois nouveaux lauréats, sa valeur morale en a été sapée. Je n'ai pas toujours accueilli avec joie les sélections du Comité Nobel du Parlement norvégien, mais celle-ci m'a choquée. Et jusqu'à aujourd'hui, je ne peux pas comprendre ni accepter le fait qu'Andreï Sakharov et Yasser Arafat partagent maintenant à titre posthume, l'adhésion dans le club des lauréats du prix Nobel.
Dans de nombreux écrits de Sakharov (dans ses livres, Coexistence et liberté intellectuelle, Mon pays et le Monde, dans ses articles et dans ses interviews) Andreï Dmitrievich a écrit et a parlé d'Israël. Je possède une collection de citations de ses écrits sur ce sujet. Et si ils étaient publiés en Norvège, alors de nombreux Norvégiens seraient étonnés de constater combien leur vue contemporaine sur Israël diffère totalement de la vue de Sakharov.
Voici quelques citations de Sakharov : « Israël a un droit incontestable à exister », «Israël a le droit d'exister dans des frontières sûres », « toutes les guerres menées par Israël ont été justes et lui ont été imposées par l'irresponsabilité des leaders arabes », « avec tout l'argent qui a été investi dans le problème des Palestiniens, il aurait été possible il y a bien longtemps de les réinstaller dans des pays arabes en leur procurant de bonnes conditions de vie ».
Pendant toutes les années d’existence d'Israël, il y a toujours eu une guerre. Des guerres victorieuses, et également des guerre qu'Israël n'a pas été autorisée à gagner. Chaque jour et tous les jours, littéralement chaque jour, il y a l'attente d'un acte terroriste ou d'une nouvelle guerre. Nous avons vu les initiatives de paix d'Oslo et la poignée de main à camp David et la «Road Map » et aussi « la terre en échange de la paix » (il n'y a pas beaucoup de terre, si vous vous trouvez d'un coté d’Israël par une journée claire, vous pouvez voir l'autre côté à l’œil nu).
Il y a maintenant un nouveau slogan à la mode (en fait il est ancien) : « deux états pour deux peuples ». Ça semble bien. Et il n'y a pas de contestation au sujet de l'initiative de paix du Quartet, comprenant les États-Unis, les Nations Unies, l'Union Européenne et la Russie ( grande faiseuse de paix avec la guerre en Tchétchénie et sa provocation en Abkhazie-Ossétie). Le Quartet et les Pays arabes, les Dirigeants palestiniens (du Hamas et du Fatah) ont ajouté des exigences à l'encontre d'Israël. Je parlerai d'une seule exigence : qu'Israël accepte le retour des réfugiés palestiniens. Et ici il est nécessaire de parler un peu d'histoire et de démographie.
Selon la définition officielle des Nations unies, sont considérés comme réfugiés ceux qui ont fui la violence et les guerres mais non pas leurs descendants qui sont nés dans un autre pays. A une époque, les réfugies palestiniens et les réfugiés juifs des pays arabes représentaient un nombre à peu près égal, environ 700 à 800 000 individus. L’Etat d’Israël récemment crée a absorbé environ 600 000 de ces juifs. Ils furent officiellement reconnus comme réfugies par la résolution 242 des Nations Unies mais n’eurent droit à aucune assistance de l’ONU. Les Palestiniens au contraire sont considérés comme des réfugiés non seulement à la première génération, mais à la deuxième, troisième, et même maintenant à la quatrième génération. Selon le rapport des travaux de l'Organisme d'Aide Humanitaire de l'ONU, le nombre de réfugiés palestiniens enregistrés a augmenté de 914 000 en 1950 à plus de 4,6 millions en 2008 et continue d'augmenter en raison de la croissance démographique naturelle. Toutes ces personnes ont les droits des réfugiés palestiniens et le droit de recevoir de l'aide humanitaire.
L'entière population d'Israël compte 7,5 millions d'habitants parmi lesquels il y a 2 millions et demi d'Arabes qui se nomment eux-mêmes Palestiniens. Imaginez alors Israël, si 5 millions d'Arabes en plus s'y engouffraient.
Les Arabes dépasseraient considérablement la population juive. Ainsi créé à côté d’Israël et il y aurait un État palestinien nettoyé des Juifs, parce qu'en plus de l'exigence du retour des réfugiés palestiniens en Israël, il y a aussi l'exigence que l'on nettoie la Judée et Samarie des Juifs et qu'on la rende aux Palestiniens, pendant qu’à Gaza aujourd'hui il n'y a plus désormais un seul juif.
Le résultat est à la fois étrange et terrifiant, parce qu'Israël sera véritablement détruite. C'est terrifiant de constater la mémoire courte de l'auguste Quartet faiseur de paix, de leurs dirigeants et de leurs citoyens s'ils laissent cela arriver. Parce que le plan « deux états pour deux peuples » est la création d'un État, sur le plan ethnique nettoyé des Juifs et d'un deuxième état avec la capacité de faire le même nettoyage ethnique. Une Terre Sainte Judenfrei, le rêve d'Adolphe Hitler se réalise enfin. Alors que ceux qui sont encore capables de réfléchir le fasse, quelle est aujourd'hui la partie qui a en elle les germes du fascisme  ?

Et voici une autre question qui m'a hantée pendant très longtemps. C'est une question pour mes collègues des droits de l'homme. Pourquoi est-ce que le destin du soldat israélien Gilad Schalit ne vous trouble-t-il pas de la même manière que le destin des prisonniers de Guantanamo ?
Vous vous êtes battus et avez obtenu que le Comité International de la Croix-Rouge, que des journalistes et des avocats puissent visiter Guantanamo. Vous connaissez les conditions de vie dans la prison, la routine quotidienne des prisonniers, leur nourriture. Vous avez rencontré des prisonniers soumis à la torture. Le résultat de vos efforts a été l'interdiction de la torture ainsi qu’une loi pour fermer cette prison. Le président Obama l’a signée dans les premiers jours de son arrivée à la Maison-Blanche. Et bien qu'il ne sache pas quoi faire des prisonniers de Guantanamo, comme le président Bush avant lui, il y a un espoir que la nouvelle administration trouve une solution.
Mais depuis deux ans que Schalit est retenu prisonnier par des terroristes, la communauté mondiale des droits de l'homme n'a rien fait pour sa libération. Pourquoi ? C'est un soldat blessé qui est soumis entièrement à la protection des Conventions de Genève. Les Conventions disent clairement que la prise d'otage est interdite, que l'on doit permettre aux représentants de la Croix-Rouge de rendre visite aux prisonniers de guerre, en particulier s'ils sont blessés et il y a bien d'autres choses encore écrites dans les Conventions de Genève qui s’appliquent aux droits de Schalit.
Le fait que des Représentants du Quartet conduisent des négociations avec les gens qui détiennent Schalit dans un lieu inconnu, dans des conditions inconnues, démontre de façon éclatante leur dédain des documents du droit international et leur total nihilisme légal. Est-ce que les activistes des droits de l'homme échouent eux aussi à se rappeler des documents fondamentaux du droit international ?

Et pourtant je pense toujours (et certains me jugeront naïve) que le premier pas minuscule mais réel vers la paix doit être à la libération de Schalit. Libération et non pas échange contre 1000 ou 1500 prisonniers qui servent des sentences dans les prisons israéliennes pour des crimes réels. Revenant à ma question de savoir pourquoi les activistes des droits de l'homme restent silencieux, je ne trouve aucune réponse sauf que Schalit est un soldat israélien, Schalit est un Juif. Alors à nouveau il s'agit d'un antisémitisme conscient ou inconscient. À nouveau il s'agit de fascisme.
Trente quatre années ont passé depuis le jour où je suis venue dans cette ville pour représenter mon mari, Andreï Sakharov à la cérémonie des prix Nobel 1975. J'étais alors amoureuse de la Norvège. La réception que j'ai reçue m'a rempli de joie. Aujourd'hui je ressens préoccupation et espoir (c'est le titre que Sakharov a utilisé pour son essai de 1977 écrit à la demande du comité Nobel)
Préoccupation à cause de l'antisémitisme et du sentiment anti-israélien grandissant partout en Europe et ailleurs. Et pourtant j'espère que ces pays, que leurs dirigeants et que leurs peuples, partout se souviendront, et adopteront le credo moral de Sakharov : « au final, le choix moral s'avère être aussi le choix le plus pragmatique ». Elena Bonner

adapté par DG


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