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Fredéric Koller intervista A.B.Yehoshua 14/02/2009
Le temps 11/02/2009

Le Temps   11 fév 2009

«Le Hamas? Une bande de voyous!»Interview de Frédéric Koller

 

 

Les Brigades Izz al-Din al-Qassam, branche aL’écrivain Avraham Yehoshua, l’une des principales cautions morales du camp de la paix en Israël, explique pourquoi il a soutenu jusqu’au bout l’intervention militaire à Gaza malgré le tollé qu’elle a suscité dans l’opinion international

 A peine a-t-on franchi le seuil de son appartement, au sommet d’une tour de Tel-Aviv, qu’Avraham Yehoshua s’enflamme: «Comment ces juges espagnols osent-ils parler d’un tribunal pour juger les crimes de guerre d’officiers israéliens! C’est ridicule. L’Espagne a participé au bombardement de civils avec l’OTAN en Serbie. Elle tire sur les immigrés à sa frontière!» Le ton est donné. Aux yeux de l’un des plus grands écrivains contemporains israéliens* que l’on présente, avec ses collègues Amos Oz et David Grossman, comme la caution morale du camp de la paix, Israël était non seulement justifié d’intervenir militairement à Gaza, mais personne n’est en position de critiquer la façon dont l’opération a été menée. «Sauf la Suisse et la Suède, qui n’ont plus mené de guerre depuis 200 ans! Alors allez-y, critiquez!» Nous ne sommes pas là pour critiquer, mais pour comprendre.

 Le Temps: Vous êtes fâché contre les critiques internationales?

Avraham Yehoshua: Quand elles se font de cette façon, oui. Je suis un des grands critiques d’Israël sur la question de l’occupation et des colonies dans les territoires palestiniens. Cela fait 42 ans que je suis pour un État palestinien, pour parler à l’OLP. Mais quand il y a un groupe vicieux comme le Hamas qui nous attaque après notre retrait de Gaza et qu’il tire depuis trois ans sur des civils israéliens, ce n’est pas acceptable. – Depuis huit ans, les roquettes des islamistes du Hamas ont provoqué la mort de 10 personnes en territoire israélien. En trois semaines, Tsahal élimine 1300 personnes dont une majorité de civils et de nombreux enfants… On peine à comprendre.  – Le but n’était pas de tuer des civils, mais d’arrêter le feu du Hamas. Si on veut tuer des civils pour tuer des civils, comme le Hamas le fait, on peut en tuer des milliers. Le problème était d’éviter la mort de soldats israéliens. Nos soldats ont peur. Nous avons peur. Il fallait intervenir à un prix acceptable. Cela n’a rien à voir avec l’idée de revanche ou de donner une leçon en tuant des civils.

– Pourquoi avez-vous soutenu cette guerre?

– On aurait dû intervenir beaucoup plus tôt lors des premiers tirs de roquettes après notre retrait de Gaza en 2005. Avant, lorsque le Hamas était en guerre contre l’occupation, il avait le droit de tirer, mais pas après le retrait unilatéral de Gaza.

– L’armée israélienne est vite intervenue par des frappes «ciblées» contre des responsables du Hamas.

– Si on avait coupé l’électricité dès le premier tir de Qassam on aurait pu éviter cette guerre.

– Cela aurait été une punition collective contre une population qui n’a pas forcément choisi le Hamas.

– Qu’est-ce que vous voulez? Qu’on continue de les laisser tirer sur nos concitoyens? Cela aurait été plus utile pour stopper ces tirs de roquettes, on aurait évité tous les morts et les dégâts qui ont suivi. Au lieu de cela on a dit «c’est pas grand-chose» et le Hamas a continué, y compris pendant cette guerre. Si le Hamas, après une semaine de guerre, avait dit qu’il acceptait le cessez-le-feu – comme l’Egypte et la Syrie l’avaient fait lors de guerres précédentes – Israël aurait immédiatement arrêté de tirer. Mais ils ne l’ont pas demandé. Ils étaient dans leurs bunkers. Ils se foutaient totalement du sort de leurs citoyens qui souffrent.

– L’an dernier, le Hamas avait accepté une première trêve de six mois. Mais aucune des deux parties ne l’a respectée.

– Elle a été respectée plus ou moins.

– L’armée israélienne est intervenue le 4 novembre pour tuer des membres du Hamas, malgré la trêve en cours. Israël n’a pas non plus ouvert les frontières de Gaza comme promis.

– La question des frontières est très bizarre. Il y a une frontière avec l’Égypte. Pourquoi l’Égypte, un pays arabe, n’ouvre-t-elle pas le passage pour le Hamas? Pourquoi après notre retrait serions-nous responsables de Gaza alors que le Hamas veut liquider l’État juif? Pourquoi leur offririons-nous le passage? Il y a un passage, celui de Rafah (à la frontière égyptienne). On l’aurait respecté. Mais qui comprend pourquoi l’Égypte ferme le passage?

– L’Égypte ne veut pas importer le problème palestinien sur son territoire alors qu’elle est déjà confrontée à la menace des Frères musulmans.

– Ah! Eux ne veulent pas le problème palestinien et nous, nous devrions ouvrir des passages! Ce n’est pas notre problème, c’est le leur! Pourquoi y aurait-il une responsabilité morale d’Israël à ouvrir de tels passages alors qu’il n’y a plus un soldat israélien à Gaza et qu’il n’y a plus d’occupation?

– Le blocus freinait de facto l’approvisionnement de 1,5 million de Palestiniens. Il n’y a pas, côté égyptien, les infrastructures nécessaires pour acheminer l’aide internationale.

– Que le Hamas arrête de tirer, qu’il commence à construire, et on ouvrira des passages même sans lui demander de changer sa charte qui demande la destruction d’Israël.

– Vous étiez d’accord sur le but de la guerre et sur la manière dont elle a été menée?

– S’il y a eu de la brutalité, de l’agressivité de la part de l’armée israélienne, évidemment que je ne suis pas d’accord. Mais la question était: peut-on arrêter le feu des roquettes? Le but n’était pas de détruire le Hamas.

– Ce matin encore (vendredi) des roquettes ont été tirées depuis le sud de la bande de Gaza sur Israël.

– Ah bon.

– Faut-il à nouveau frapper Gaza?

– Non. Qu’est-ce que vous voulez? Que feriez-vous s’il y avait tous les cinq jours un tir de roquette sur votre bureau à Genève?

– Quelques voix – très rares – en Israël estiment qu’il y avait une marge de négociation avant de frapper pareillement. De toute façon, il faudra bien un jour parler avec le Hamas.

– Le Hamas ne veut pas parler avec nous.

– En ce moment, il y a des discussions entre le Hamas et Israël à travers l’Égypte.

– Oui, indirectement. Les Égyptiens supplient le Hamas d’arrêter le feu. Mais ils ne veulent pas. Vous ne comprenez pas que c’est une bande de voyous? Ils ne veulent pas parler avec nous et nous ne voulons pas parler avec eux car ils nient notre existence. Nous avons négocié avec l’OLP dès qu’il a reconnu l’existence d’Israël en 1988. Je ne dis pas que toutes les négociations ont réussi. Il reste le problème des réfugiés, de Jérusalem, etc.

– En Cisjordanie, beaucoup de gens ne croient plus à la solution des deux États car la colonisation est allée trop loin. Les extrêmes se renforcent dans les deux camps. Comment relancer le processus de paix?

– Le Likoud de Netanyahou, qui va gagner les élections, peut envoyer des fleurs au Hamas pour dire «merci, vous avez renforcé la droite». C’est pour cela que les pays arabes sont en colère avec le Hamas et qu’il n’y a pas eu de manifestations en Cisjordanie pour soutenir le Hamas. Pendant trois semaines de guerre, un million et demi de Palestiniens en Israël aurait pu crier «qu’est-ce que vous faites»! Ils n’ont rien dit.

– Ils sont déjà qualifiés de traîtres par certains politiciens. Des manifestations ont eu lieu en Cisjordanie mais elles ont été réprimées par la police du Fatah. Et le Hamas peut envoyer des fleurs au gouvernement israélien et en particulier à Sharon qui leur a offert le pouvoir.

– Peut-être que le Hamas peut envoyer des fleurs à Sharon. Évidemment que la colonisation des Territoires est très mauvaise et négative.

– On revient au cœur du problème: la colonisation qui se poursuit.

– Oui, c’est la source du problème. Mais si on enlève les colonies, qu’est-ce qui se passe? Au lieu de dire «merci, très bien, on commence à travailler», le Hamas dit «Vous nous quittez! Nous allons vous poursuivre, nous allons tirer des roquettes plus puissantes!». Comment pouvez-vous convaincre le peuple israélien de se retirer de Cisjordanie?

– Vous oubliez des étapes entre le retrait unilatéral des troupes israéliennes et la prise du pouvoir par le Hamas. Israël et la communauté internationale n’ont rien fait pour empêcher ce scénario. N’est-ce pas le résultat d’une politique aveugle?

– Oui. Mais que pouvait-on faire? Oui, mais les États-Unis ont voulu des élections. Alors on accepte la démocratie. Le Hamas gagne. Bien, c’est la volonté des Palestiniens. Mais qu’il arrête de tirer. Si on veut la paix, une solution de deux États, il faut faire la guerre au Hamas. Ce n’est pas contradictoire. C’est pour cela que les Arabes d’Israël et de Cisjordanie n’ont pas été solidaires avec le Hamas.

– Mais aujourd’hui, en Cisjordanie, le Hamas est plus populaire que le Fatah.

– Alors que veulent-ils de nous?

– Vous avez frappé. Que fait-on maintenant pour la paix?

– L’Égypte a pris les choses en main sérieusement. Elle a compris après cette guerre que la situation devient très dangereuse. L’Égypte est responsable de tout cela. Elle aurait pu ouvrir le passage de Rafah et contrôler la contrebande de roquettes. Les puissances européennes doivent aussi donner leur accord pour une solution de paix et stopper les trafics. Croyez-moi, le Hamas va arrêter ses tirs et va commencer à construire des maisons pour le malheureux peuple de Gaza et ils vont cesser de fabriquer des roquettes dans leur cuisine.

– Et Israël va démanteler ses colonies et se retirer de Cisjordanie?

– Ça il faut le faire. Il faut de très fortes pressions européennes et américaines sur Israël et les Palestiniens. J’ai aimé le discours d’Obama lorsqu’il a évoqué le monde musulman et son engagement «agressif». Il faudra être agressif pour obtenir un résultat. C’est déjà une bonne chose que Bush soit parti. Israël est le seul État créé par l’ONU. La communauté internationale a le devoir de nous aider pour parvenir à la paix.

*Dernier livre traduit en français: «Un feu amical», Calmann-Lévy, 2008.


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