samedi 1 novembre 2008
Article de Karl Pfeifer paru dans Z Word - Au sujet de l'auteur voir : La "victoire" de Karl Pfeifer, Jean-Yves Camus, L'Arche, N° 598 - mars 2008
"Par une majorité de 109 votes sur 182, Martin Graf, un membre de l’organisation d’extrême droite Olympia, a été élu à la vice-présidence du parlement autrichien.
"Vous n’avez pas retenu les leçons du passé"
"Vous n’avez pas retenu les leçons du passé" pouvait-on lire sur une pancarte brandie par les députés Verts. J’ai regardé ce spectacle en direct à la télévision, et j’affirme que l’élection de cet homme est une honte pour un pays qui n’a pu renaître des cendres en 1945 que parce que tant de soldats alliés ont sacrifié leurs vies pour sa libération.
Le 8 mai, Martin Graf, 48 ans, député du parti FPÖ [parti "libéral" d’extrême droite], a participé à des manifestations organisées par l’extrême droite. Or pour celle-ci, l’occupation de l’Autriche a commencé le 8 mai 1945, jour de la capitulation de l’Allemagne nazie. Graf est également membre d’une fraternité estudiantine d’extrême droite qui n’a pas répugné à inviter un chanteur néo-nazi. Son répertoire comprend une chanson qui avertit que : "la fête commence avec six millions de Juifs".
L’élection de Martin Graf intervient au lendemain de la suspension d’un conducteur de tram de Vienne pour avoir accueilli les passagers avec le salut nazi "Sieg Heil". Or Martin Graf a été élu à l’une des plus hautes fonctions dans un pays qui, apparemment, est très fier de sa constitution anti-fasciste.
Au parlement, on entend toutes sortes de nobles déclarations condamnant l’Autriche national-socialiste. (…) Mais en pratique, les choses sont très différentes. (…)
L’association Olympia
Karl Öllinger, un deputé Vert, a publié un dossier sur l’extrême droite autrichienne, y compris sur l’association Olympia. Le dossier fut envoyé par Öllinger à tous les parlementaires. Or, malgré son contenu, Martin Graf, le candidat d’un parti d’extrême droite, vient d’être élu par la majorité de ses pairs - seuls les Verts et quelques autres parlementaires s’y opposèrent.
Il est important de préciser les activités de Graf qui est toujours – en dépit de tout ce qu’on sait sur Olympia – membre de cette organisation.
Les membres d’Olympia n’aiment pas parler en public, mais lorsqu’ils le font, ils taisent beaucoup de choses. Ils préfèrent laisser leurs invités parler ou chanter. On ne trouvera pas leur publication (Der Olympe) dans les rayonnages des bibliothèques publiques et leur site Internet a été désactivé. Mais on connaît cette déclaration de Graf : "Les frontières actuelles ont été tracées arbitrairement; le peuple allemand (Volkstum) doit pouvoir s’étendre en Europe" (Der Spiegel 24/97, p. 54.). (…)
Graf est réticent à parler de la Shoah. Interviewé par la TV autrichienne au début du mois d’octobre, voici ce qu’il dit.
Martin Graf interviewé par Armin Wolf pour la télévision autrichienne ( ZiB 2) le 1er octobre 2008.
Armin Wolf: "Donc, comme John Gudenus, votre collègue de longue de longue date du parti, vous ne doutez pas que des millions de Juifs furent assassinés dans les chambres à gaz dans le Reich allemand?"
Martin Graf: "Je ne doute pas que des masses furent annihilées. C’est exact."
Armin Wolf: "Votre formulation est quelque peu différente. Ma question portait sur des millions de Juifs. Et vous venez de me répondre – des masses annihilées. Est-ce des millions que vous doutez ?"
Martin Graf: "Si vous le voulez, oui, j’ai parlé des masses …".
Armin Wolf avait explicitement mentionné des millions de Juifs assassinés dans les chambres à gaz. Or Martin Graf ne s’est pas prononcé sur les millions de Juifs assassinés dans les chambres à gaz. Ce point est décisif pour un négationniste comme David Irving. Les négationnistes nient l’existence des chambres à gaz ainsi que le meurtre planifié de millions de Juifs. Ils parlent de pandémies dans les camps de concentration.
Pourquoi donc Martin Graf n’a-t-il pas dit un mot sur les chambres à gaz et le meurtre de millions de Juifs ?
Le parcours d’extrémiste de Graf remonte à loin. Déjà en 1987, il participait à une conférence donnée par le néo-Nazi allemand Reinhold Oberlercher dans un institut attaché à l’Université de Vienne - Oberlercher y qualifia les Juifs d’"agents vecteurs de maladies".
Le Centre autrichien d’archives et de documentation sur la résistance (DÖW) qualifie depuis longtemps Olympia d’organisation d’extrême droite. Le fait qu’Olympia invite des néo-nazis et des négationnistes connus est indicatif de l’esprit qui règne au sein de l’association.
- Lorsqu’il fut arrêté en Autriche le 11 novembre 2005, le négationniste britannique David Irving se rendait à Olympia pour donner une conférence sur le thème "Les négociations d’Adolf Eichmann avec les responsables juifs de Hongrie". Il fut condamné par un tribunal autrichien en application de la loi qui interdit les activités nazies.
- Le 26 janvier 2008, le dirigeant du parti d’extrême droite allemande NPD [Parti national-démocrate] de Berlin, Jörg Hähnel, était l’invité d'Olympia. En janvier 2007, Hähnel a défendu le système légal nazi. En mai 2007, il se rendit au Landtag (parlement) de Mecklenburg muni d’une trique. Récemment, il fut condamné à Berlin à une amende de 4.500 Euros pour avoir justifié l’assassinat de la communiste Rosa Luxemburg.
"La fête commence avec 6 millions de Juifs"
- Le 20 novembre 2004, Olympia fut l’un des organisateurs du spectacle de Michael Müller, un cadre du NPD. Il composa et interpréta cette chanson :
"La fête commence avec 6 millions de Juifs, Jusqu’à 6 millions le four reste allumé, (…) nous avons plein de réserves de Zyklon B. (…) avec 6 millions de Juifs, c’est encore loin d’être terminé."
"Mit 6 Millionen Juden da fängt der Spaß erst an, bis 6 Millionen Juden da bleibt der Ofen an. (…) wir haben reichlich Zyklon B. (…) bei 6 Millionen Juden, ist noch lange nicht Schluss."
L’Association pour la réhabilitation des négationnistes de la Shoa persécutés
Frank Rennicke est un chanteur d’extrême droite et membre fondateur de l’Association pour la réhabilitation des négationnistes de la Shoa persécutés (Vereins zur Rehabilitierung der wegen Bestreitens des Holocaust Verfolgten). Il a figuré dans la publication de l’association Olympe, éditée par Martin Graf.
Le 7 mai 2008, par décision du Ministère de l’Intérieur allemand, l’organisation de Rennicke fut dissoute et son site Internet fermé. La raison ? "Les buts et activités de cette organisation sont contraires au droit pénal et portent atteinte à l’ordre constitutionnel de la République Fédérale d’Allemagne. Ses activités comprennent la propagande antisémite, la négation de la Shoah et la glorification du régime de terreur national-socialiste."
Dans la Proclamation de la Seconde République d’Autriche du 27 avril 1945, on trouve cette phrase remarquable : "Le gouvernement du Reich national-socialiste d’Adolf Hitler, en raison de l’annexion politique, économique et culturelle totale du pays, a amené le peuple d’Autriche –impuissant et dépourvu d’influence (macht et willenlos) – dans une guerre de conquête insensée et sans espoir qu’aucun Autrichien n’a jamais appelée de ses voeux, ou était en mesure de prévoir et d’approuver, une guerre contre des nations envers lesquelles aucun vrai Autrichien n’a jamais éprouvé des sentiments d’hostilité ou de haine."
Nous savons que c’est un gros mensonge ; beaucoup d’Autrichiens ont été des acteurs dans cette guerre.
Quoi que les politiciens autrichiens se plaisent dorénavant à déclarer, le fait est qu'avec l'élection de Graf à la présidence du parlement autrichien, c'est un membre d'une organisation d'extrême droite qui accède à un poste de premier plan dans ce pays."
Traduction française par Philosémitisme
Publié par Philosémite à l'adresse 09:45
Libellés : Autriche, Extreme droite
http://philosemitismeblog.blogspot.com
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La « victoire » de Karl Pfeifer Mardi 1er avril 2008
L'affaire commence en 1995 lorsque l'Académie politique du FPÖ, qui est le think tank universitaire du parti de Jörg Haider, publie dans son almanach annuel un article intitulé: «Internationalisme contre nationalisme. Une inimitié mortelle éternelle ? Développement historique et forme contemporaine». L'auteur, un professeur allemand, développe sur 52 pages la banalisation des crimes nazis et l'idée rebattue selon laquelle les Juifs, parfois appelés «capitalistes internationaux» dans le texte, auraient déclaré la guerre à l'Allemagne de Hitler dès 1933.
Karl Pfeifer décide de ne pas laisser passer: en février 1995 dans la revue de la communauté juive de Vienne, Die Gemeinde, dont il est alors le rédacteur en chef, il publie une recension titrée : «Un almanach 1995 du FPÖ aux tonalités (néo)-nazies». L'universitaire allemand le prend mal et le poursuit pour diffamation. Pfeifer est définitivement acquitté en mai 1998, la justice estimant que sa critique constituait un jugement de valeur reposant sur une base factuelle suffisante.
L'affaire ne se termine pas pour autant, car le parquet de Vienne engage, début 2000, une procédure pénale contre le professeur allemand, en vertu de la loi relative à l'interdiction du national-socialisme. Le 13 mai 2000, peu avant l'ouverture de son procès, le professeur se suicide, pour des raisons qui restent indéterminées.
L’Autriche vit alors dans un climat bien particulier : le FPÖ est entré en février 2000 dans le gouvernement de coalition du chancelier chrétien-conservateur Schüssel, et détient le portefeuille de la justice ; l’extreme droite a envie de régler ses comptes avec ses adversaires.
L’hebdomadaire d’extrême droite viennois Zur Zeit, dirigé par le député européen FPÖ Andras Mölzer, s’empara alors de l’affaire en prétendant que c’était la recension de Pfeifer avait poussé le professeur allemand à se donner la mort.
Karl Pfeifer, évidemment, poursuivit le journal. Si le tribunal de première instance jugea qu’il avait bien diffamé, la cour d’appel estima en octobre 2001 que Zur Zeit avait exprimé «un jugement de valeur qui n’avait rien d'excessif». Zur Zeit, avant le verdict qui lui était favorable, avait écrit à ses abonnés pour leur demander une aide financière, affirmant qu'un groupe d'antifascistes essayait de lui nuire par une campagne de désinformation dans les médias et une sorte de harcèlement juridique. La lettre reprenait l'idée que Karl Pfeifer était membre d'une association se livrant à la «chasse à l'homme» qui avait poussé le professeur à se suicider.
Pfeifer engagea alors une deuxième série de poursuites en diffamation; mais il fut débouté en août 2002, la cour d'appel confirmant l'arrêt d'octobre 2001. Le round final de ce marathon judiciaire s'est conclu à Strasbourg, devant les juges européens. Ceux-ci ont donné raison à Karl Pfeifer, qui poursuivait l'État autrichien: la Cour a estimé que «les juridictions autrichiennes n 'ont pas ménagé un juste équilibre entre la protection de la liberté d'expression et le droit du requérant à la protection de sa réputation».
Cette victoire juridique est d'autant plus remarquable que la personnalité et l'histoire de Karl Pfeifer sont tout un symbole de la relation compliquée de l’Autriche avec l’antisémitisme et le passé.
Né en 1928 à Baden, près de Vienne, dans une famille originaire de Hongrie, Karl Pfeifer quitte l’Autriche au moment de l’Anschluss, pour Debrecen puis Budapest. C’est là qu’en 1940, il rejoint le mouvement sioniste socialiste (clandestin) Hashomer Hazair.
Il quitte la capitale hongroise pour la Palestine dans un convoi de l'Alyat Hanoar, en janvier 1943. Débarqué à Haïfa, il s'installe successivement au kibboutz Maabarot puis au kibboutz Shaar Haamakim. En mars l946, il rejoint le Palmah, combat pendant la guerre d'Indépendance, et quitte l’armée en 1950.
Les circonstances matérielles difficiles le poussent à regagner l'Autriche. Il entame alors une carrière dans l’hôtelerie, qui le mène aux quatre coins du monde. En 1979 un peu par hasard, il commence une carrière de journaliste, se faisant expulser quatre fois de la Hongrie communiste dont il suit de près l'opposition démocratique.
Puis, en 1982, il prend la direction du journal communautaire Die Gemeinde, qu'il quittera en 1995. Correspondant autrichien de la radio israélienne jusqu'en 2005, il continue à écrire pour l'hebdomadaire chrétien hongrois Hetek, le mensuel antifasciste anglais Searchlight et le site juif germanophone HaGalil. Karl Pfeifer, qui raconte sa vie dans un français courant, est en quelque sorte une vigie, avec une capacité d'indignation restée intacte et une combativité qu'on devine peu encline au compromis. Si l'extrême droite continue à le préoccuper, il dénonce avec autant de vigueur l'antisionisme /antisémitisme d'une certaine extrême gauche.
Le jugement de la Cour européenne des droits de l'homme, qui rétablit son honneur, démontre que les thèses de Zur Zeit, journal marginal se réclamant à la fois d un catholicisme intolérant et du nationalisme, restent acceptables pour une bonne partie de l'opinion, toujours prompte à se draper dans la posture de la victime et à accuser les Juif et les étrangers de travailler contre l'Autriche.
Source: Jean-Yves Camus, L'Arche N° 598 - mars 2008
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